lundi 6 mai 2013

Histoire 3 : Les Vilains

                      

Il était une fois une araignée, un serpent et un virus qui se retrouvaient tous les jours pour discuter de leur journée. C'était leur moment de détente et chacun y mettait du sien pour raconter aux autres comment il avait réussi son coup pour le repas du jour.


                   
 
L'araignée racontait généralement la même chose :
- Héhé, j'étais tranquillement cachée dans un coin quand j'ai senti un idiot se prendre dans ma toile. Aujourd'hui c'était un moustique. Vous auriez dû le voir se débattre alors que c'est I-M-P-O-S-S-I-B-L-E de s'en sortir. Il était terrifié. J'en salivais d'avance...
- T'es quand même une sacrée sadique de raconter ça aussi crûment, réagit le serpent. Pour un vulgaire moustique en plus...
Le virus ne dit mot.
L'araignée, légèrement piquée, rétorqua :
- Tu manques pas d'air mon vieux ! Et si tu nous racontais comment tu te prépares ton petit repas, hein ?
- Moi ? Bof... Je m'enroule toujours autour du premier rat venu, je l'étouffe et puis je le gobe, pas de quoi en faire un fromage comme toi.
Le virus finit par ajouter son grain de sel :
- Vous êtes aussi indélicats l'un que l'autre ! Toi l'araignée, tu épuises ta victime jusqu'à la maintenir dans un état lamentable qui ne la tue même pas, puis tu la sirotes de temps en temps comme une voleuse... Quant à toi, cher serpent, tu ne fais pas mieux puisque tu engloutis ton rat parfois vivant à ce qu'il paraît...
L'araignée et le serpent le regardèrent subitement avec une agressivité non dissimulée.
- Je rêve ! Le virus nous parle de délicatesse, tu entends ça, serpent ? dit l'araignée. Qui donc s'infiltre dans l'organisme des autres pour détruire leurs défenses immunitaires ? Qui affaiblit de l'intérieur, ronge, détruit ? C'est n'importe quoi !
Le virus, amusé, répondit :
- Je trouve ma méthode assez classe, au contraire. Vous savez, c'est pas si facile que ça de réduire en miettes une armada de globules blancs...

Sur ces mots, personne n'eut envie de continuer la discussion. Chacun ruminait ce qui venait d'être dit, et repensait à sa manière de faire.


              

L'araignée revit le moustique s'empêtrer dans ses fils...


                

... et se rappela son excitation lorsqu'elle se jeta sur lui pour l'envelopper dans un cocon de soie.
 

             

Le serpent revit le rat fureter dans un coin... 

  
            

... et se rappela son excitation lorsqu'il passa à l'attaque pour le gober. 


             

Le virus eut une vision beaucoup plus grandiloquente encore, se représentant un tas de monde ne se doutant de rien...


            

... alors qu'il est là, partout, qu'il s'infiltre, petit à petit, malgré les résistances. 


              

Au bout du compte, ce fut l'araignée - quelle bavarde celle-là - qui brisa le silence qui s'était installé :
- Vous savez, je vous trouve injustes. Peut-être que je le sirote mon moustique, mais imaginez un monde sans araignée... Il n'y aurait que ça, des saletés d'insectes, pas vrai ?


               

Le serpent enchaîna :
- C'est pas faux. Mais gardez bien à l'esprit que si nous, les serpents, n'étions pas là, les rats pulluleraient. Vous aimeriez ça ?
 

              

Le virus termina :
- Quoi que vous en pensiez, si moi et mes collègues n'existions pas non plus, qui pourrait se charger de réguler la population de ces odieux humains ?


              

Tous semblèrent assez d'accord, ce qui installa un climat de bonne humeur. Mais ce que l'araignée, le serpent et le virus n'avaient pas vu, c'était que justement, un humain se tenait dans les parages.
Et il les avait écoutés avec une grande attention.


            

Il arriva doucement dans l'espoir de ne pas leur faire trop peur. Mais à sa vue, les créatures étaient prêtes pour prendre la poudre d'escampette.
L'humain voulut les rassurer en disant qu'il n'avait pas l'intention de les tuer, mais simplement de discuter.
L'araignée, le serpent et le virus ne furent que très moyennement convaincus... Cependant, l'homme leur fit tellement de flatteries qu'ils décidèrent malgré tout de rester, à une distance raisonnable.
C'est vrai qu'ils avaient parlé avec une rare intelligence et ils s'en félicitèrent tous du regard...

 
           

Tout de même, l'araignée se demanda pourquoi diable cet humain voulait discuter avec elle et ses camarades. Ce qu'ils avaient dit avait peut-être été intéressant, mais que voulait-il raconter au juste ? Elle lui fit part de ses réflexions. L'homme répondit :
- Et bien je me sens un peu seul et j'ai envie de discuter, c'est tout. Un peu comme vous l'avez fait. C'est si étrange que ça ?
- Oui, c'est étrange. Un humain ne discute pas avec nous autres. En général ça cherche à nous tordre le cou, dit le serpent.
- Normal, les gens ne vous aiment pas, vous leur faites peur.
- On leur fait peur ? s'exclama l'araignée avec de grands yeux.
- Mais oui, regarde-toi, tu es affreuse avec tes pattes velues.
- Mais quel rustre ! Et après il veut nous mettre à l'aise et discuter...
L'araignée était tellement vexée qu'elle se renfrogna et ne prêta pas attention au serpent et au virus qui se moquaient d'elle en silence. Le virus ne perdit pas le nord et dit :
- Bon, tu veux parler de quoi, humain ?
- Hum... En fait je voulais vous dire que je suis d'accord avec vous. C'est vrai que vous êtes vraiment pénibles, surtout toi - il regarda précisément le virus - mais vous êtes terriblement nécessaires en ce monde.
Le virus ne se décontenança pas :
- Oui oui, on sait, nous sommes extraordinaires et indispensables. Mais toi ? À Quoi tu sers au juste dans la vie ?
L'homme écarquilla les yeux.

 
            

Il n'eut même pas le temps de répondre que le serpent se lança dans les accusations :
- Mais oui ! Il paraît que tu t'es installé partout sur la planète, un cousin me l'a dit.
- Tu détruis beaucoup de choses pour t'installer d'ailleurs, continua le virus. Des forêts comme celle-ci par exemple. C'est pourtant beau une forêt non ?
L'araignée arrêta de bouder et saisit l'occasion de se venger en continuant le procès :
- Parfaitement ! Espèce de brute ! Et personnellement, j'ai des copines qui m'ont dit avoir vu des humains tuer des animaux pour le plaisir.
- Sans parler de torture, dit le serpent. Un jour, alors que je m'apprêtais à engloutir un rat, ce dernier était en train de dire à son voisin que vous, les humains, faites des tests sur eux. Vous êtes complètement malades ou quoi ?

Les trois créatures dévisageaient l'homme avec indignation. Ce dernier tenta de se justifier :
- Je ne vais pas contredire tout ça. Mais vous savez, nous aussi on doit manger, on doit construire nos maisons pour ne pas mourir de froid, et on doit bien inventer des médicaments pour guérir des maladies, dit-il en lançant un oeil mauvais sur le virus.

L'araignée, le serpent et le virus l'écoutèrent mais ne semblèrent pas convaincus :
- Oui oui oui, dit le virus, mais qu'est-ce qui vous oblige à vous installer partout en définitive ? Et à tuer pour le plaisir ?

Au bout d'un moment, l'homme en eut assez de tous ces reproches :
- Mais tu ne penses pas que tu t'installes partout toi, avec les tiens, mon vieux microbe ? Et si vous le pouviez, est-ce que vous ne le feriez pas non plus, l'araignée et le serpent ? Et je ne parle pas que de vous, qui n'avez pas à vous plaindre, mais de toutes les créatures en général ! Tout le monde veut la plus grosse part du gâteau, c'est tout... Et tuer pour le plaisir, tuer pour le plaisir, on n'est pas tous comme ça ! Mais qu'est-ce que vous voulez, chez nous on s'entretue aussi pour nos idées, alors quoi ?
 

            

Les trois bestioles se regardaient sans mot dire. L'homme n'aimait pas le silence et poursuivit :
- Finalement on est là, on fait ce qu'on a à faire et puis c'est tout. On n'y comprend rien. C'est la vie. Si je me souviens bien, vous ne vous êtes pas gênés, au début de votre conversation, pour vous vanter des supplices que vous infligez à vos victimes, et à reprocher aux autres leurs méthodes.
L'araignée, le serpent et le virus restaient muets.
- Alors on est pareils, tous les quatre. Sauf que moi et les miens, on vous écrase sans problème si ça nous chante, finit par dire l'homme pour plaisanter.


           

Cela ne fit pas rire son auditoire qui se jeta sur lui en un éclair puis disparut aussi sec. 


         

L'homme ne put faire autrement, vu son état, que d'aller à l'hôpital se faire soigner. Le médecin qui s'occupait de lui, lui dit :
- Et bien mon ami, je vois que ce n'est pas votre jour ! Quelle poisse de se faire mordre par une araignée et un serpent, et d'attraper cette vilaine grippe ! Mais où est-ce que vous êtes allé traîner ?! Quoi qu'il en soit ne vous inquiétez pas, je vais vous administrer un traitement digne de ce nom.
- J'espère qu'il a été testé sur des animaux, pesta l'homme.
- Naturellement, dit le médecin en souriant.