Il était une fois un village
tranquille où vivaient en harmonie les hommes, les femmes, et les enfants.
Les femmes qui attendaient des
bébés étaient reliées à eux par le cordon ombilical. Comme toutes les femmes du
monde. Sauf que dans ce village-là, les bébés ne se développaient pas dans le
ventre, mais à l'extérieur. C'était comme s'ils flottaient dans l'air. Et quand
les bébés étaient assez grands, le cordon se détachait tout seul.
Un jour, un grand oiseau au bec
tranchant arriva dans le village et prit l'habitude de couper le cordon
ombilical reliant certaines femmes à leur futur enfant. Les bébés qui n'étaient
pas suffisamment développés mouraient. Les autres s'en sortaient. C'était la
panique générale. Mais personne ne pouvait rien y faire. L'oiseau recommençait.
Alors, un enfant parmi les
autres se sentit rempli de colère. Il n'en pouvait plus d'assister à ce
spectacle. Il décida de partir jusqu'au repère de l'oiseau pour l'empêcher de
revenir.
Il suivit l'oiseau à travers
les plaines désertiques, les amas de rochers, les rivières tumultueuses. Il ne
fallait pas qu'il le perde de vue.
Finalement,
il arriva, essoufflé, jusqu'au nid de l'oiseau. Ce dernier fut très surpris de
voir cet enfant chez lui :
- Mais
! Que fais-tu là, toi !? dit l'oiseau.
- Je
viens du village où tu ne te gênes pas pour faire tes vilaines choses, répondit
l'enfant.
- Ah ?
Comment m'as-tu trouvé ? Tu es courageux.
- Et tu
es un monstre.
- Je ne
peux pas m'en empêcher. Regarde-moi. Avec des plumes pareilles, je n'attire
personne et aucun autre oiseau ne veut me faire de bébé. Alors je me venge.
- Ça ne
sert à rien. Tu aurais mieux fait de demander de l'aide. Chez nous on a une
teinturière qui pourrait préparer de très belles couleurs pour régler ton
problème. Mais après ce que tu as fait...
- Ah
vous avez ça ? demanda l'oiseau en écarquillant les yeux. Elle pourrait me
teindre en rouge ?
-
Malheureusement tu as coupé le cordon qui la reliait à son bébé. Il est mort.
Penses-tu qu'elle te le pardonnera ?
- Elle
sera bien obligée si elle veut que j'arrête de faire mes vilaines choses, dit
l'oiseau. Retourne d'où tu viens et dis-le lui. Je reviendrai dans deux jours
me faire teindre ma robe.
Sur ces mots l'oiseau tourna le dos à l'enfant, et ce
dernier retourna chez lui.
Arrivé
au village, il faisait nuit. Mais la nouvelle se répandit que l'enfant avait
parlé à l'oiseau et tout le monde se précipita autour de lui pour l'écouter. Il
leur raconta la discussion qu'ils avaient eue.
- C'est
hors de question ! dit la teinturière, pleine de chagrin.
- Mais
si tu refuses, il reviendra et d'autres bébés mourront. Nous ne connaîtrons
plus jamais la paix, insista l'enfant.
- De
toute manière, la paix est terminée pour moi ! dit la teinturière.
Elle
essuya une larme avant d'ajouter :
- Je
sais, je me montre égoïste. Laissez-moi tranquille cette nuit, je vais y
réfléchir. A demain...
Et tout le monde alla se coucher.
Le
lendemain matin, à l'aube, de nombreuses personnes attendaient déjà devant la
maison de la teinturière. Cette dernière finit par se montrer. Le silence était
général. Elle annonça :
- La
nuit porte conseil et ma colère a diminué. Il n'y a pas de raison que ce
monstre continue ce qu'il fait. Je vais l'aider à repeindre ses plumes.
Tout le
monde cria de joie.
Puis elle retourna dans sa maison pour préparer ses
couleurs.
Comme
prévu, l'oiseau finit par arriver au village. Cette fois-ci il ne trancha aucun
cordon. Il se posa devant l'enfant qui était courageusement allé le chercher. La
teinturière était à ses côtés.
- Alors
ça y est ? Tout est prêt pour donner de l'éclat à mon plumage ? demanda
l'oiseau.
- Tu
pourrais commencer par nous saluer et t'excuser pour tes actes, répondit
sèchement la teinturière.
-
Contentons-nous de régler cette histoire. J'ai fort à faire. Je ne suis plus si
jeune, soupira l'oiseau.
- J'ai
passé de nombreux jours à pleurer mon enfant et à te maudire, dit la femme.
Mais je n'ai plus de temps à perdre avec ça. La teinture est prête pour que tu
puisses faire ce que tu as à faire.
- Parfait,
au travail !
Et des gens du village allèrent chercher les pots de
couleurs.
Tout le
monde s'appliqua à peindre les plumes du volatile. Même les femmes qui avaient
été séparées de leur enfant.
Petit à petit, le noir sinistre faisait place à un
rouge flamboyant.
Le
travail dura une journée entière. Finalement, la lueur de peur que l'on avait
pu lire dans les yeux des villageois avait laissé place à de l'admiration.
L'oiseau
lui-même fut ébloui par sa beauté. Il resta un moment silencieux avant de dire
:
- Merci. Je n'aurais jamais imaginé me débarrasser de
mon plumage noir. Grâce à vous je ne serai sûrement plus seul. Je ne pourrai
jamais me faire pardonner pour le mal que je vous ai fait. Mais pour vous
montrer ma reconnaissance, je reviendrai avec mon futur bébé.
Alors l'oiseau s'envola vers
un destin plein d'espoir.
Quelques mois plus tard...
... il tint sa promesse.